Les héros oubliés des récits complets de l’après-guerre

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Les multiples héros de papier qui animèrent les récits complets français de l’après-guerre sont aussi diversifiés qu’hétéroclites. Bob Mallard, Alain la Foudre, Jim Boum et les autres…Allons à la découverte de quelques uns de ces oubliés.

LES COMBATTANTS
La Résistance, le Maquis et les combats qui se sont déroulés sur les différents théâtres d’opération de la Deuxième Guerre mondiale sont les sujets privilégiés que l’on rencontre le plus fréquemment dans les journaux et fascicules pour la jeunesse publiés au lendemain de la Libération. On les trouve notamment dans la production de maisons d’édition, soit qui exerçaient une activité pendant l’occupation et s’efforçaient ainsi d’acquérir un brevet de patriotisme fort à propos (Gordinne, SAETL, Marcel Daubin, Ed. Modernes…), soit qui venaient d’éclore et exploitaient à fond l’actualité (Ed. Populaires monégasques, Coq Hardi, Vaillant, Sprint, Ed. du Siècle, etc.). En tout cas, en manifestant ainsi un civisme de bon aloi, toutes ces firmes poursuivaient un même but : obtenir du Ministère de l’information les contingentements de papier indispensables.
Les nombreux et souvent tragiques exploits de la Résistance et des combattants de l’ombre furent à l’honneur, plusieurs années durant, dans une foule de publicaltons, en particulier des journaux (Vaillant, Coq Hardi, Récréation, Jeune gars, Les 3 couleurs, Goupil…) et, bien sûr, des récits complets. Parmi ces derniers, des héros méconnus se dissimulent dans les abondan­tes publications de la Société anonyme d’éditions techniques et littéraires (SAETL). II ne faut toutefois pas rechercher là des his­toires à suivre ou des personnages qui con­tinuent à vivre dans d’autres fascicules. Cha­que numéro forme un tout complet. Parmi ces récits de qualité fort variable, parus dans les Sélections Pic et Nic ou Cendrillon, récits exaltant un patriotisme de circonstance, nous pouvons citer Les Exploits de l’Ecu­reuil (par M, Nusem), Le Maquis de la mort (par Andred), Les Résistants du rail (par Andred), Partisans (par Luc Laurent), Munitions parachutées (non signé), Dans les griffes de la Gestapo (par Niézab), Traqués (par Brantonne), La Locomotive fantôme (par Andred), etc.

BOB MALLARD PILOTE DE CHASSE – texte de H.E. Bourdens dessins de Rémy BOURLES – c’est un album Vaillant 1947

Des soldats de la clandestinité passons à ceux qui, sous l’uniforme de leurs pays res­pectifs, luttèrent de 1940 à 1945 pour chas­ser les envahisseurs, principalement les occu­pants allemands et japonais. Plaçons en tête des oubliés le pilote de chasse Bob Mallard, créé pour l’hebdomadaire Vaillant (Rémy Bourlès pour le dessin et H.E. Bourdens pour le texte), et que l’on retrouve dans les récits complets de la série C’est un album Vaillant, à savoir : Bob Mallard et l’avion robot. Pirates de la stratosphère, Le Porte-avion corsaire, Pilote de chasse. Accordons également une place à la SAETL qui, avec des publications comme Guerre au Japon (par Kline), Chez les bourreaux nippons (par Andred), Raid sur le Pacifique (par Andred), La Mission de Pistache (par Nié­zab), Convoi dans l’océan Arctique (par Andred), Les Evadés de l’enfer nazi (par Niézab), etc. paya une fois de plus sa con­tribution à une image de marque échappant aux foudres de l’épuration.

CEUX DE LA POLICE

Bob Corton (Dynamic 1ère série)

Les détectives ont toujours constitué un vivier foisonnant où sont venus puiser à poi­gnée les auteurs de BD. Aux héros déjà men­tionnés, ajoutons le fougueux agent de contre-espionnage Bob Corton que lança Géo Mattéi en 1950 pour la série Dynamic à l’italienne parue chez Artima. Personnage musclé et remuant ayant fait ses premières armes pendant la guerre, il fut magistrale­ment repris par Raymond Cazanave pour le mensuel Vigor.

Le feutre mou de Pat Lugger que Jean-Paul Rault dessina pour Sprint en 1947, est également resté gravé dans la mémoire de certains collectionneurs de BD. Et Jack Forgas, auquel London et Polsis donnèrent vie dès 1946 pour la collection Mon Roman filmé des Editions Populaires Monégasques, est de la même trempe tout en possédant un charme désuet bien de chez nous.

L’inspecteur Jones n’a rien à envier à ses prédécesseurs du FBI et Franck Val nous l’offre, dans divers fascicules de chez Publivog, sous un jour séduisant et dans une ambiance graphique d’un parfait classi­cisme. L’inspecteur Douglas, tel que Jean Mad le campe en 1947 dans une dizaine de récits complets publiés aux Edi­tions J. Froissard, ne perd rien d’un certain flegme britannique . Et enfin  le trop méconnu John Kallum, lui aussi inspecteur du FBI qui fréquente bars et pin up. Sorte de Nestor Burma, Kallum fut dessiné avec un art consommé du grisé, par Manuel, Yves Mondet et surtout Robert Rocca. Kallum magazine, qui date de 1953, fut publié par les édi­tions du Puits Pelu (ou Jacquier) à Lyon.

 VENGEURS, GROS BRAS ET PIRATES

Dans la saga haute en couleur des ven­geurs masqués, King le vengeur occupe une place de choix car, avec Fantax, il fut un des premiers produits français de ce type puisque ses aventures commencèrent au tout début de 1947 dans une suite assez brouil­lonne de magazines édités par Publivog à Nice et qui s’ornent de superbes couvertu­res couleurs dues au jeune talent de Bob Leguay. Cow boy justicier aux vêtements quelque peu fantasques, le visage dissimulé par un loup et portant épée au côté, King le vengeur parait surgir d’un sérial de la Republic. Henry Le Monnier le ressuscita pour le mensuel Red Canyon.

Collection Victoire n°13 – Alain la Foudre (Carlo Cossio) SAGE 1939

Dans la galerie des gros bras, il convient d’adjoindre Alain la Foudre dessiné par Carlo Cossio et qui vécut ses aventures notamment dans la collection Victoire de la SAGE. D’autres promenèrent dans les illustrés leurs carrures d’armoire à glace, et notamment Ouragan le roi de la brousse dont les exploits débutèrent en 1946 aux Editions Modernes sous le crayon  d’André Bohan.

Les héros des mers, qu’ils soient cor­saires d’Ancien Régime ou pirates des temps modernes, ne semblent guère avoir inspiré les scénaristes et les dessinateurs français. En dehors de la série Pirates et conquistadors, nous men­tionnerons le Kernock d’Auguste Liquois que la SEG fit paraître dans Sans Peur en 1952. Gentilhomme breton du temps de Louis XIV qui se fera coureur d’océans, Kernock, malgré ses faiblesses, eut une belle longévité puisque, sous divers formats, il reparut dans plusieurs titres.

LES BROUSSARDS

Au royaume des explorateurs, la jun­gle a toujours été reine et les périls monnaie courante. Luc Hardy n’échappa ni aux uns ni aux autres durant les aventures qu’il vécut chez Artima tout au long des années 50. Aventurier sympathique dont le terrain pri­vilégié fut souvent la corne de l’Afrique au temps des colonies, Luc Hardy, tou­jours flanqué de son fidèle Wambo pour­chasse inlassablement trafiquants ou pillards dans un environnement hostile de déserts, de côtes inhospitalières, de brousses, de montagnes mystérieuses. Dessiné par Roger Melliès avec l’élégance du trait et le souci du détail qui le caractérisent, Luc Hardy est le type même de l’explorateur-aventurier-voyageur.

D’un tempérament plus bohème, Frank Nevil eut chez Artima une existence assez éphémère, ses géniteurs, les frères Robert et Roger Giordan ne pouvant suffire à la tâche graphique qu’ils s’étaient fixée. Il en fut de même du méconnu Jim Cameroun, sorte de Jim la Jungle italianisé qui promena sa sil­houette de vieux broussard dans les pages d’Héroïc en 1952. Franck Val créa en 1949, aux éditions niçoises de Voix française, Rex la brousse, lequel combat d’ailleurs plus qu’il n’explore puisqu’il soutient les Anglais luttant contre les troupes japonaises en Birmanie en 1943/1944. Des récits complets fort corrects, peu courants et d’une présentation inhabituelle.

Les Tarzanides sont légions. L’écurie incon­tournable des seigneurs de la jungle brilla d’un éclat particulier chez la firme Artima où, en dehors des inusables Tarou et Tim l’Audace, il y eu le retour du Mowg de Chott, adapté d’un album de chez Gordinne et repris justement dans le mensuel Tarou. A signaler aussi le Moha d’André Gosselin, puis de Gaston Niézab, et le Rugha de Géo Mattéi qui firent quelques apparitions dans la collection Dynamic avant de se réfugier dans les pages de Tarou. Chez les éditeurs de Nice, en l’occurence Voix française, la collection Le Monde et la Jungle contient les aventures de Roag, par Géo Mattéi (en alternance avec Garry Kid). Démarquage à la fois de Tarzan et du Tim l’Audace des frères Giordan, Roag bénéficie surtout de belles couvertures couleur grand format, Certains numéros sont d’ailleurs rarissime.

LES GALOPANTS

Les héros de l’Ouest sont innombrables dans leur diversité sans cesse renouvelée. Jim Ouragan, à l’honneur chez Artima fait bonne contenance à côté de ses illustres aînés Bill Tornade et Tex Bill. Il fut d’abord cro­qué par J.A. Dupuich puis par Eugène Gire (qui en réalisa la meilleure représentation en le rodant dans Red Canyon) avant d’avoir son propre périodique. Jack Hilson, créé lui aussi par Dupuich et continué par André Gosselin, fit également partie de l’écurie d’Artïma. Miki le ranger et ses joyeux comparses Double Rhum et le doc­teur Saignée peuplèrent longtemps les pages de Rodéo et firent les délices d’une foule d’adolescents séduits par des scénarios biens construits et un dessin de bonne facture. Reprenant le personnage cinématographi­que interprété par William Boyd, Hopalong Cassidy fut, tout au long des années 50, un des titres fétiches de la maison Impéria. Créé par Brantonne et continué par son fils qui signait Jack de Brown, Banko apparut en 1955 aux Editions des Remparts et annon­çait l’arrivée d’Aigle Noir.

Après avoir imaginé Ouragan roi de la brousse, André Bohan donna en 1949, toujours pour les Editions Modernes, John Riffle le chasseur. Pendant de Roag dans la collection niçoise « Le Monde et la Jungle », Garry Kid (qui se mua peu après en Larry Kid) permit à Bob Leguay de mani­fester une fois de plus son goût pour le wes­tern et sa maîtrise dans l’art des couvertu­res. French Bill et son compagnon Oncle Joé, dessinés par Maurice Toussaint, vécurent vingt cinq épisodes en 1953 chez Léon Brunier, l’éditeur de Petit Riquet.

Les belles histoires de Coeurs Vaillants n°3 – La tribu fantôme

Le grand Jim Boum, dont Marijac avait fait évoluer la silhouette nonchalante et stylisée dans le Cœurs Vaillants d’avant guerre, devint l’ossature des récits complets de Coq Hardi après avoir été en 1941 celle des Belles histoires de Cœurs Vaillants. Enfin, Pat Kee est le dernier héros de l’Ouest que nous ayons noté ; on le retrouve toujours sous le crayon de F. Cassano dans les petits fascicules des collections Pampa et Pic.

LES HEROS DU FANTASTIQUE

Genres graphiques venus des Etats-Unis à l’époque des grands journaux de l’âge d’or, le fantastique et la science fic­tion ne pouvaient occuper qu’une place de choix dans la production des récits complets hexagonaux. Toujours à la pointe, les Edi­tions Artima accordèrent une place de plus en plus grande. Sorte de Superman en cagoule vêtu d’une cape lui permettant de voler pour aller au secours de la veuve et de l’innocent, Wonderman est une création de J.A. Dupuich pour la collection Dynamic. René Brantonne y donna pour sa part nais­sance à son Fulguros qui réapparut dans le mensuel Sylvie en 1955. Rendons au passage un hommage appuyé aux fascicules des col­lections Red (La Cité des ressuscites, Le Monstre au masque noir). Aventures fan­tastiques (La Pluie de sang, Le Trésor de la terre qui tremble, Le Val des titans) et A tra­vers les âges (L’Homme aux yeux blancs, Alain Cyclone à travers les âges) publiés par les éditions Claire Jeunesse de Nice et où Yves Mondet se révèle un graphiste original.

Souvenons-nous enfin de deux titres parmi les plus surprenants, les plus rares et, sous certains aspects, les plus réussis dans ce que nos des­sinateurs nationaux firent de mieux en matière de fantasti­que et de science fiction : Les Justiciers de l’azur et Roi de l’Atlantide. Publiés en 1948 sur deux épisodes dans Sprint junior, Les Justiciers de l’azur est une bande qui mêle adroitement fantastique au premier degré dans une ambiance quasi surréaliste, le tout baignant dans une débauche de décors et de costumes extravagants. L’auteur de ce petit chef-d’œuvre, l’illustrateur lyonnais Claude Rittau, fit une trop brève carrière et, à notre sens, n’a pas donné sa pleine mesure. Artiste possédant le sens du mouvement et une ima­gination luxuriante, il a notamment réussi pour cette histoire qui défie les lois de la logique du temps, deux des plus délirantes couvertures de la BD française des années 40.

Particulièrement méconnu, Roi de l’Atlantide vit le jour lui aussi en 1948 mais en un seul récit complet de la série Bob et Bobette. Histoire grouil­lante de monstres, de cataclysmes et de rebondissements, il s’agit là d’une variation délirante sur le mythe du continent perdu. Les dessins, avec texte sous image, sont dus à Paul Ordner, connu durant les années 50 comme illustrateur sportif (il collabora éga­lement à L’Intrépide et à Hurrah !) et qui réalisa pour Roi de l’Atlantide une couver­ture saisissante de violence et d’effroi. Un authentique morceau d’anthologie complè­tement ignoré !

LES P’TITS

Les mélodrames enfantins nous sont venus d’Italie à la Libération. Ils se sont d’ailleurs parfaitement bien intégrés dans la BD française et nombreux sont les anciens lecteurs qui ont conservé en mémoire les émotions qu’on distillés Sciuscia, Petits moineaux, Nat le petit mousse, Mas­cotte et autres Marcellino débordants de bons sentiments. Incontestablement, les fascicu­les de Sciuscia et de Petits moineaux rem­portent la palme en ce domaine puisque, en plus du héros titre, ils publièrent Tony Boy qui, avec son jeune compagnon Mike, vécut une suite interminables d’aventures dans l’Amérique des années 40. Dessiné par Ingam, Tim le vagabond, quant à lui, pros­péra dans les pages d’Héroïc à partir de 1950 dans une ambiance « New Deal » du meil­leur rendu.

Laissons de côté Alaska Jim qui gran­dit trop vite pour effectuer une courte visite au pays de l’humour et de la fantaisie grâce aux Editions Armand Fleury qui, en 1946, régalèrent les lecteurs avec les duos de Dan et Dani (par Luc By) et surtout de Mic et Mac (par Rob Vel), jeunes héros de papier délurés qui égayèrent les pages de la collection Jeunesse aventureuse.

Comme on peut le constater, les res­sources des récits complets s’avèrent infinie et réservent à l’œil attentif de bien agréa­bles surprises. Nombreux et passionnants à plus d’un titre sont les héros de toutes sor­tes qui sommeillent dans leurs pages jaunies qui font encore aujourd’hui le bonheur des collectionneurs.

Auteur : Jean Fourier